201007/04

Contrat à durée indéterminée et fonction publique

Pour faire face à la montée croissante du nombre d’agents contractuels, et par là même à la précarisation de la fonction publique, le législateur a tenté à de nombreuses reprises de mettre en place des plans de titularisation.

La lutte contre la précarité n’est ainsi pas une question nouvelle dans la fonction publique qui a déjà connu plus de 15 plans de titularisation dont :

  •  le plan de titularisation « LE PORS » de 1983-1984 ;
  • le plan « PERBEN » de 1996 ;
  • la loi « SAPIN » du 3 janvier 2001.

(Pour une présentation de ces plans, voir rapport n°2222 du député Pierre MOREL A L’HUISSIER du 30 mars 2005 sur le projet de loi portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique)

Compte tenu de la fréquence des mesures de lutte contre la précarité dans la fonction publique, certains auteurs considèrent qu’il est à « craindre que, de toute façon, la résorption de l’auxiliariat soit une entreprise qui doit être toujours recommencée » (René CHAPUS, « Droit administratif général », tome 2, Paris, Montchrestien, 2000, n° 46, p. 59.

D’autres évoquent « le tonneau des Danaïdes de la précarité » (Déclaration du Ministre de la fonction publique lors de la présentation du projet de loi de résorption de l’emploi précaire dans la fonction publique devant le Sénat le 22 novembre 2000).

La loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique, adoptée sous la pression du droit communautaire, constitue une nouvelle tentative de résorption de l’emploi précaire (I) par le recours au CDI dans la fonction publique (II).

I. UNE EVOLUTION LEGISLATIVE SOUS L’INFLUENCE DU DROIT COMMUNAUTAIRE
doit être comprise comme n’autorisant pas de justifier une différence de traitement entre les travailleurs à durée déterminée et les travailleurs à durée indéterminée par le fait que cette dernière est prévue par une norme nationale générale et abstraite, telle une loi ou une convention collective.

Au contraire, ladite notion requiert que l’inégalité de traitement en cause soit justifiée par l’existence d’éléments précis et concrets caractérisant la condition d’emploi dont il s’agit, dans le contexte particulier dans lequel elle s’insère et sur le fondement de critères objectifs et transparents, afin de vérifier si cette inégalité répond à un besoin véritable, est apte à atteindre l’objectif poursuivi et nécessaire à cet effet. » (CJCE, 13 septembre 2007, Yolanda DEL CERRO ALONSO, précité, points 57 et 58)

En conséquence, le recours aux CDD successifs est subordonné :

d’une part, à la justification d’une part d’un besoin véritable ;
d’autre part, à la démonstration de l’aptitude et de la nécessité d’avoir recours à ce type de contrat.

Les deux critères cumulatifs supposent que soit faite la démonstration :

de l’existence d’éléments précis et concrets caractérisant la condition d’emploi et le contexte particulier ;
des critères objectifs et transparents en justifiant le recours et de l’aptitude et de la nécessité d’une telle mesure.

B. La nécessaire transposition de la directive communautaire du 28 juin 1999

Contrairement aux règlements communautaires d’application directe, les directives doivent faire l’objet de mesures de transposition dans le droit interne des Etats membres.

La France n’a, comme elle en est malheureusement coutumière, pas transposé la directive communautaire dans les délais prévus, certains auteurs ayant même jugé qu’aucune transposition n’était nécessaire.

Cette position a d’ailleurs été confirmée, dans un premier temps, par la Cour administrative d’appel de NANCY qui a affirmé, dans un considérant parfaitement contestable, que :

« Considérant qu’eu égard d’une part à l’objectif de prévention des abus résultant de l’utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs fixé par la directive susmentionnée et d’autre part au caractère alternatif des mesures proposées pour prévenir de tels abus, les règles nationales applicables, qui énumèrent de façon limitative les cas de recours au recrutement d’agents par des contrats à durée déterminée, limitent dans le temps la durée maximale de ces contrats et prévoient les conditions et limites de leur renouvellement ainsi que celles ouvrant droit à titularisation, ne sont pas incompatibles avec les objectifs de ladite directive. » (CAA de NANCY, 2 juin 2005, Mme HUMBERT c/ Commune de FORBACH, n° 03NC00959)

Cette décision ne faisait d’ailleurs que reprendre le rapport public pour l’année 2003 de la Haute juridiction administrative qui avait évoqué l’idée selon laquelle le droit français de la fonction publique serait d’ores et déjà conforme aux dispositions communautaires en indiquant que :

« Le premier exemple concerne les conséquences à tirer des dispositions de la directive n° 199/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 « visant à mettre en œuvre l’accord cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale » sur le régime des agents contractuels de droit public. La directive part du principe, qui imprègne d’ailleurs tout le Code du travail français, que « les contrats à durée indéterminée sont la forme générale de relation de travail » et que « l’utilisation des contrats de travail à durée déterminée basés sur des raisons objectives est un moyen de prévenir les abus ». Et la clause 5 de l’accord cadre, qui concerne les mesures visant à prévenir l’utilisation abusive des contrats à durée déterminée, fait ainsi obligation aux États membres de prendre une ou plusieurs des mesures qu’il énumère.

On ne peut exclure que cette directive soit applicable aux contractuels de droit public, quelles que soient les spécificités de leur situation, dans la mesure où l’accord cadre qu’elle a pour objet de mettre en œuvre vise tous les « travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État-membre », définition très extensive.

Les conséquences de telles dispositions sur le système français de fonction publique sont ambiguës et dépendront beaucoup de la manière dont la transposition en sera assurée. Dans une première hypothèse, on pourrait légitimement considérer que le droit français est déjà en conformité avec la directive : en effet, les règles régissant le recours aux contractuels ont précisément pour objet de déterminer de façon limitative les cas dans lesquels un tel recours est possible ; à défaut, la règle est l’occupation de l’emploi concerné par un fonctionnaire titulaire dont la « relation de travail » est par définition à durée indéterminée. Dans ces conditions, le droit communautaire ne fait rien d’autre qu’inciter à une plus stricte application des principes mêmes du statut général.

Une autre interprétation est cependant possible, fondée sur l’observation qu’en pratique, même si cela est contraire à l’esprit, sinon à la lettre, des règles du statut, de nombreux emplois permanents sont occupés par des contractuels dont le contrat est renouvelé de manière quasi automatique alors même que, selon la jurisprudence du Conseil d’État, ces contrats ne sont en aucun cas susceptibles de se transformer en contrats à durée indéterminée. Dans la mesure où une telle pratique semble directement contraire aux dispositions de la directive de 1999, et où l’on souhaiterait maintenir l’étanchéité de principe entre contractuels et agents publics titularisés, la réintroduction de contrats à durée indéterminée dans le droit de la fonction publique française, en dehors des cas dérogatoires d’ores et déjà prévus, notamment pour certains établissements publics administratifs et pour les autorités administratives indépendantes, devrait alors être envisagée. »

(Conseil d’Etat, Rapport public 2003 intitulé Perspective pour la fonction publique, La Documentation française, p. 288-289)

La Cour administrative d’appel de PARIS a, au contraire, affirmé que les dispositions de l’article 4 de la loi du 11 janvier 1984 relatives aux agents non-titulaires de l’Etat étaient incompatibles avec les objectifs posés par la directive 99/70, avant l’adoption de la loi du 26 juillet 2005 (CAA de PARIS, 20 novembre 2007, M. CEARD c/ Académie de Paris, n° 06PA02869).

La directive communautaire du 28 juin 1999 sera finalement transposée en droit français par la loi du 26 juillet 2005 qui a choisi d’introduire officiellement le contrat à durée indéterminée dans la fonction publique.

Le Conseil d’Etat a toutefois récemment affirmé que « la directive du 28 juin 1999 n’obligeait pas les Etats membres de l’Union européenne à procéder à la titularisation des agents contractuels recrutés afin de pourvoir un emploi permanent » (CE, 7 mars 2008, M. MAGERAND, n° 308113, Le Courrier Juridique des Finances et de l’Industrie, n° 51, mai – juin 2008, p. 156).

Cette position ne fait d’ailleurs que confirmer celle de la CJCE qui avait indiqué en 2006 que la directive n’obligeait pas les Etats membres à prévoir la transformation de CDD successifs en CDI en cas d’abus (CJCE, 4 juillet 2006, Konstantinos ADENELER, précité, points 91 à 95).

Toutefois, la CJCE n’avait pas encore rendu son arrêt au moment de l’adoption de la loi du 26 juillet 2005 qui semblait à l’époque la seule mesure envisageable.

Néanmoins, et par la suite, une partie de la doctrine a regretté le choix du législateur en parlant de « fausse solution » heurtant « la conception traditionnelle d’une fonction publique statutaire et de carrière » (FITTE-DUVAL A., « CDI dans le fonction publique : les risques d’une transposition inadaptée », AJFP, 2007, p. 4).

II. L’INSTAURATION DU CDI AU SEIN DE LA FONCTION PUBLIQUE
concerne les agents qui sont déjà sous contrat depuis plus de six années de manière continue à la date de publication de la loi. L’administration a le choix, au terme du contrat en cours, de renouveler ou non le contrat.

Si elle choisit de le faire, elle ne peut le renouveler que pour une durée indéterminée puisque l’agent a déjà six années de période d’emploi en CDD. L’exigence de continuité de l’emploi suppose que le contrat en cours, y compris ses éventuels renouvellements, soit ininterrompu à cet égard, il convient de noter que les congés non rémunérés du titre V du décret du 17 janvier 1986 précité n’interrompent pas le contrat mais en suspendent l’exécution, sans pour autant décaler l’échéance initialement prévue. En conséquence, afin de pouvoir bénéficier des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 15-1, l’agent doit avoir été employé par la même personne publique, sur le même emploi permanent, et avoir exercé les mêmes fonctions ou des fonctions identiques, c’est-à-dire le même métier. »

(Rép. Min. n° 114521, JOAN 3 avril 2007, p. 3386)

De même, une récente réponse ministérielle rappelle très clairement que la loi du 26 juillet 2005 « impose une condition de continuité des CDD pour l’octroi d’un CDI » (Rép. Min., n° 38533, JOAN 17 mars 2009, p. 2584).

Le Conseil d’Etat a d’ailleurs défini la notion de « contrats successifs » dans un avis, portant sur la fonction publique de l’Etat mais parfaitement transposable à la fonction publique territoriale, curieusement passé relativement inaperçu :

« 2° Il y a contrats successifs lorsque l’objet du renouvellement est d’exercer des

« fonctions de même nature », ce qui implique, pour l’essentiel, que :

1) la nouvelle mission réponde à un besoin analogue à celui pour lequel l’agent a été initialement recruté ;

2) les fonctions proposées soient d’un niveau comparable à celui des fonctions qu’il exerçait précédemment.

3° Lorsqu’un agent non titulaire est recruté pour faire face à des vacances d’emplois déterminées, les contrats successivement conclus pour faire face à ces vacances différentes doivent être regardés comme une succession de contrats, au sens du droit du travail et de la jurisprudence de la Cour de cassation, et non comme des contrats successifs au sens de la directive.

Cette succession de contrats ne peut toutefois avoir pour effet de pourvoir durablement à un emploi permanent de l’administration concernée.

4° Des contrats conclus successivement sur le fondement du 1° puis du 2° de l’article 4 de la loi du 11 janvier 1984 peuvent être considérés comme successifs lorsque sont satisfaites les caractéristiques mentionnées au 2° du présent avis, à savoir que le deuxième contrat réponde à un besoin analogue à celui qui a motivé la conclusion du premier contrat et que les fonctions proposées soient d’un niveau comparable à celui des fonctions que l’agent exerçait précédemment.

Le Conseil d’Etat (section des finances), tenant compte, d’une part, de l’objet, de la finalité et de l’effet utile de la directive susvisée, d’autre part des besoins particuliers de l’Etat quant au recours, pour pourvoir à des emplois publics, à des agents non titulaires sous contrat à durée déterminée, est en conséquence d’avis que, pour parfaire la transposition de la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999, la notion de « contrats successifs » doit être précisée dans l’ordre juridique interne et définie comme un contrat faisant suite à un contrat initialement conclu entre les mêmes personnes et présentant les caractéristiques mentionnées au 2° du présent avis, à savoir l’exercice de fonctions analogues et d’un niveau comparable à celles exercées précédemment. »

(CE avis, 11 mars 2008, n° 381097)

Reste que la Cour de justice des Communauté européennes semble avoir développé une jurisprudence moins restrictive concernant le continuité des contrats en affirmant que présentaient un caractère successif les CDD entrecoupés d’interruptions de 20 jours (CJCE, 4 juillet 1996, Konstantinos ADENELER, précité).

Il semble donc que la position française en la matière, plus stricte que celle adoptée par la CJCE, puisse être considérée comme contraire au droit communautaire.

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Si l’introduction du CDI dans la fonction publique territoriale avait pour objectif de lutter contre la précarité des agents contractuels de la fonction publique, reste que les agents ayant vu leur contrat requalifié en CDI ne peuvent pour autant prétendre au bénéfice « d’un déroulement automatique de carrière à l’instar de celle existant pour les fonctionnaires. En effet, l’agent non titulaire reconduit pour une durée indéterminée ne voit son contrat modifié que dans la durée de sa relation contractuelle qui le lie à l’administration. Ni sa fonction si son mode de rémunération ne sont modifiés » (Rép. Min., n°95924, JOAN 10 octobre 2006, p. 10650).

Début 2008, le Ministère de la fonction publique a fait part de ses premières statistiques en la matière pour la fonction publique de l’Etat :

« S’agissant des élément statistiques relatifs aux agents en CDI, le Ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique dispose à ce jour d’informations partielles, mais significatives, sur la base d’un premier bilan de l’application de la loi n0 2005-843 du 26 juillet 2005 réalisé par le ministère en février 2007.

Il porte sur les dispositions transitoires de l’article 13 applicables à la fonction publique de l’Etat (services centraux et déconcentrés, à l’exclusion des établissements publics administratifs).

Selon les informations transmises par les ministères, la quasi-totalité des agents éligibles à la transformation de leur contrat en CDI a bénéficié de la mesure, quel que soit l’âge de l’agent.

En effet, parmi les 9 321 agents contractuels ayant plus de 6 ans d’ancienneté au

1er octobre 2006, 8 932 ont bénéficié d’un renouvellement de leur CDD en CDI : 2 951 de 50 ans et plus et 5 981 de moins de 50 ans.

Les bénéficiaires âgés de 50 ans et plus représentent un cinquième des effectifs, soit une proportion conforme à la part de cette tranche d’âge parmi l’ensemble des non-titulaires. »

(Rép. Min., n° 6973, JOAN 29 janvier 2008, p. 831)

Toujours est-il que la loi du 26 juillet 2005 n’a pu régler toutes les situations de précarité en raison de conditions d’applications strictes limitant les catégories d’agents contractuels susceptibles d’en bénéficier.